Ice Scream.

Ils étaient cinq, ils avaient le même âge, le même visage. Ils portaient tous le même uniforme scolaire, la même cravate, et avaient tous la même coiffure. Les cheveux légèrement trop longs masquaient leurs fronts, et il y avait juste ce qu'il fallait d'insolence dans leurs regards.

Au début, ils n'avaient même pas été particulièrement amis... ils s'étaient juste retrouvés ensemble dans un concours de circonstances.
Ils étaient jeunes, des adolescents, et étaient fatigués de la vie avant même d'avoir commencé. Ils étaient lessivés, épuisés, vidés; chacun d'entre eux était dévoré par un vide abyssale qui consommait toute énergie imaginable.
Des ruines de leurs enfances, une lointaine rage fumait encore. Elle était à peine étouffée par leur lassitude. Il y avait quelque chose de profondément violent, enfoui sous les filtres et les couches des bonnes manières. En grattant un peu, le vernis était prêt à s'écailler, et eux étaient prêts à imploser.
 

En ce temps là, il n'y avait rien à faire. Pas de plage, pas d'après-midi ensoleillés, pas de voitures et de soirées; pour ne pas mourir d'ennui, ils avaient eu le choix entre les conneries ou la musique.
Quel bordel ce fut la première fois qu'ils essayèrent de jouer en rythme.

C'était à tout cela que pensait le guitariste, les manches relevées, la cravate à l'envers. Il était obnubilé par le chanteur, au point d'en oublier sa propre douleur. Il se tenait droit, raide, le visage crispé, et sa voix faisait vibrer les murs. Le guitariste l'observait, tétanisé, sentant les mots devenir physiques et le transpercer de part en part. Il sentait l'émotion du chanteur, sa colère et sa lassitude, le frapper au plus profond de ses organes; lui même était envahi, réveillé, et il avait lui aussi envie de crier.
Sans pouvoir détacher le regard, il savait que les autres ressentaient la même chose. Ils vivaient les uns à travers les autres ce phénomène mystérieux et inexplicable, cette maladie fiévreuse qui agite les hommes depuis des millénaires.